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  • Quand j'étais gamin, mon oncle Henri, mais oui celui qui voulait nous tuer, mon frère et moi, parce que nous avions chapardé quelques prunes, celui-là même avait deux passions : le football et le hockey. Je devais avoir huit ou neuf ans quand il est venu un jour à la maison me chercher pour aller voir un match de hockey à Gottéron1.

    Me voilà embarqué dans sa bagnole. Nous sommes arrivés à la patinoire des Augustins, patinoire non couverte où quand il avait gelé et que la glace s'était formée, le match pouvait avoir lieu, mais si la température montait, au revoir pas de match. Dans ce quartier de l'Auge, quartier pauvre de la ville, les familles comptaient entre cinq et huit enfants qui avaient faim parfois, la pauvreté régnait. C'étaient des Bolzes. Aujourd'hui encore, les enfants de la Basse, ce sont les Bolzes. Ils allaient dans la forêt couper des branches. Ils assemblaient tant bien que mal deux ou trois bouts de bois pour fièrement devenir propriétaire d'une canne de hockey. Sur l'étang des Augustins, du nom d'un Couvent proche, les enfants, à force de jouer, de s'entraîner sans le vouloir, devenaient de vrais petits hockeyeurs. Le public affluait, puisque depuis Villaraboud même, à plus de quarante kilomètres de là, nous venions voir un match. La ville de Fribourg contente de voir ses enfants s'adonner à une activité saine, et des donateurs privés se sont mis d'accord pour construire une vraie patinoire, artificielle cette fois, pour les enfants de la Basse. Il ne fallait plus attendre qu'il gèle pour pouvoir jouer au hockey. Le club évoluait déjà en première ligue, ce qui représentait la troisième catégorie nationale, et les membres venaient tous de la Basse.

    Deux ou trois ans plus tard, Fribourg Gottéron est monté en ligue nationale B. La nouvelle patinoire n'était pas couverte. Quand il neigeait vers dix heures du soir, le match était arrêté pour prendre le temps de balayer la neige, puis le match reprenait. Ainsi, certains matches duraient jusqu'à une heure du matin. C'était une équipe soudée, au dynamisme hors du commun, ils jouaient comme un seul homme sur la glace. Avec le temps, le club s'est structuré, avec comité, président, membres.

    Après deux ou trois championnats en ligue B, les hockeyeurs ont si bien joué que le club est devenu premier de sa ligue, qualifié pour la finale où le premier de ligue B jouait contre le dernier de ligue A, le CP Zurich, en l'occurrence. Si Gottéron gagnait, il passait en ligue A et Zurich était relégué en ligue B. Par un froid de canard, à la patinoire des Augustins, toujours ouverte, j'ai assisté au match. Contre toute attente, nous avions l'espoir de voir gagner notre équipe, mais là, c'était l'euphorie générale, nous avons battu Zurich six à zéro.

    La saga de Fribourg Gottéron a commencé à ce moment-là. Avoir battu Zurich, ça nous a donné des ailes. Avoir battu les suisses allemands, dans la Suisse romande, ce fut une sacrée victoire, puisque nous sommes en minorité, en Suisse il y a environ deux germanophones pour un francophone. Mais à Fribourg, canton majoritairement francophone, on compte deux Welchs2 pour suisse allemand. L'avantage pour le public a été que, pour jouer en ligue A, il fallait disposer d'une patinoire couverte. C'est comme cela qu'une bâche jaunâtre a été montée sur les Augustins.

    Le succès allait grandissant, ce qui faisait que, pour assister à un match, il fallait arriver à quatre ou cinq heures de l'après-midi pour s'assurer de trouver une place pour le match qui débutait à huit heures et demie le soir, sans parler des embouteillages et des difficultés à trouver une place de parc, dans cette Basse-ville aux maisons serrées, aux rues étroites reliées par des ponts sur les méandres de la Sarine, aux falaises impressionnantes. Mais l'oncle Henri y tenait tant qu'il disait à son domestique de traire ses vaches. Nous partions à trois heures et demie quatre heures, sûrs ainsi de trouver une place. L'oncle Henri prenait le viatique, histoire aussi de passer le temps en attendant le match. J'ai vu des supporters manger la fondue, assis sur les gradins des Augustins, par grand froid.

    Je peux vous dire que quand Gottéron gagnait, les bistrots de la Basse restaient ouverts toute la nuit et que, du Tirlibaum, nous on disait Tirliboum, un café de la Place du Petit-Saint-Jean, jusqu'à la Pinte des trois Canards, dans la Vallée du Gottéron, tous les établissements étaient bondés, de la bière, encore de la bière, toujours de la bière.

    Il y eut un combat d'arrière-garde. Ceux de la Basse voulaient garder leur patinoire en Basse-ville et les autres voulaient construire une patinoire plus accessible. Finalement, les premiers ont dû se résigner, le club avait pris une telle importance qu'il était impossible de le garder chez eux. C'est à Saint-Léonard, sur la route en direction de Granges-Paccot qu'une nouvelle patinoire a été construite. Il fallait aller "en-haut", au début ça a un peu coincé, mais finalement les Bolzes, fiers de représenter leur canton, ont accepté qu'on leur pique leur bébé. Petit Gottéron était devenu grand. Jouer dans la cour des grands comme Davos, Ambri Piotta et autres, il leur a fallu du temps pour réaliser qu'ils étaient devenus grands.

    Il faut relever que, depuis leur arrivée en ligue nationale A, Fribourg Gottéron est la seule équipe nationale qui n'ait jamais été reléguée, même si parfois ça a été sur le fil du rasoir.

    Un événement a quelque peu changé le visage de Gottéron, un article paru dans un journal suisse allemand disait que l'équipe nationale de Russie où les joueurs étaient jusqu'ici contraints à rester chez eux était désormais disposée à laisser partir quelques joueurs. Ils étaient à l'époque champions du monde et champions olympiques. Les journalistes russes ont pris contact avec les responsables des principaux clubs de hockey suisses. Ils ont tous refusé l'offre, ils avaient dans leurs rangs des canadiens ou des américains, ils n'étaient pas intéressés par des joueurs russes. Je fréquentais le club avec assiduité, mais encore dans l'anonymat. Le Président de Gottéron de l'époque, Jean Martinet, vint un soir vers moi :

    - Tu as entendu parler des russes ?

    - Oui, bien sûr !

    - Et tu en penses quoi ?

    - Il faudrait voir !

    - Et bien, écoute-moi, la semaine prochaine, on part à Moscou, en Russie ! Tu veux venir ?

    - Tu penses bien que oui, je ne voudrais manquer cela pour rien au monde.

    Par chance, Martinet avait une fille qui travaillait chez Kuoni, agence de voyages à Fribourg, ce qui a facilité les démarches. Nous étions quatre et avons payé nos billets nous-mêmes. Et nous voilà partis pour le pays des slaves. Nous avions rendez-vous avec un certain Tikonoff de la Sbornaja, l'équipe nationale de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Arrivés en face de cet homme, le problème c'était la langue. Martinet dit :

    - Swiss Captain !

    - ...

    Visiblement, il nous fallait une interprète. L'ayant trouvée, nous avons pu commencer les négociations. Martinet dit :

    - Il nous faut un ailier droit !

    C'est là qu'il fait venir Andrei Khomutov. Celui-ci nous dit, c'est comme ça les russes, qu'il était d'accord pour s'expatrier, mais à condition de venir avec son copain Viatcheslav, dit Slava Bykov. D'entrée, Martinet n'était pas très chaud, il n'en voulait qu'un. Nous l'avons convaincu qu'il était préférable pour tout le monde d'engager les deux : ils joueraient mieux, ils s'ennuieraient moins. Le transfert de deux des meilleurs joueurs de la planète a coûté au Club Fribourg Gottéron un autocar que les russes voulaient pour se déplacer quand ils allaient jouer à l'extérieur. Nous avons fait fabriquer l'autocar en Tchécoslovaquie, il pouvait contenir septante personnes, il était magnifique. C'était notre contribution pour le club, le prix du transfert.

    Quant à nos deux vedettes, Khomutov et Bykov, leurs salaires étaient de dix mille francs par mois, nets d'impôts, un logement et une voiture. Comparés aux salaires des joueurs canadiens ou américains, nous faisions vraiment une belle affaire. Les russes sont arrivés et ont été installés à Marly, dans une villa jumelée, l'un à côté de l'autre. Leurs femmes respectives les accompagnaient, celle de Khomutov se prenait pour une diva et a tout de suite grimpé dans l'échelle sociale, manteaux de fourrure, bijoux et autres signes extérieurs de richesse alors que la femme de Bykov était une personne réservée et fort aimable.

    Je faisais alors partie du comité de Fribourg Gottéron. C'est là que s'est joint à nous mon incontournable ami Jean-Marie Dévaud, dit Nanet :

    - Il faut faire quelque chose pour Gottéron ?

    - Quoi, tu veux faire quoi, de quoi tu parles ?

    - En basse saison, il y a toujours ce problème de liquidités. Il faut trouver un moyen d'aider le club pour faciliter ce passage et payer les joueurs quand le club n'encaisse pas de recettes.

    CCH est né, coopérative de cautionnement du hockey. Nous étions solidaires auprès de la banque, à titre privé, à raison de quarante mille francs par personne, ce qui faisait quatre cent mille francs à disposition du club pour payer les joueurs en basse saison. Notre contribution en liquide se montait à quatre mille francs par personne et par année pour les frais de la loge et les frais de déplacements. Plus tard, le nombre d'adhérents a passé à quatorze. Nous avions à notre disposition une loge et pour les femmes quatorze places assises, nous voulions regarder les matches entre hommes. Durant la pose, nos épouses ou partenaires respectives venaient prendre un verre dans notre bar, mais dès que la partie reprenait, elles regagnaient leurs places.

    Le système a bien fonctionné et vu le nombre de mem­bres, nous avons fondé un comité. Nanet, vu ma facilité d'élocution pour ne pas dire ma grande gueule, m'a propulsé Président, lui s'occupait des finances. C'était grandiose. Très souvent, Francis Mauron, Président de CCH, était invité à se rendre au milieu de la patinoire, devant tout le public, pour remettre une montre ou un autre prix au meilleur joueur de chaque équipe. J'ai fait cela durant deux ou trois ans. Mais un jour, la Banque de l'État nous a envoyé une lettre nous informant que, le Club de Fribourg Gottéron n'étant plus capable d'assumer ses dépenses, nous étions invités, selon l'acte de cautionnement que nous avions signé, à payer la somme de six cent cinquante mille francs. Il fallait débourser chacun plus de quarante-six mille francs. Nous avons été convoqués, à six heures et demie du matin, à la Fiduciaire Baudet à Fribourg, présidée par Gaston Baudet, un homme qui avait de nombreuses relations dans le milieu de la finance et qui tenait les comptes de Fribourg Gottéron. Il y avait là un représentant de la Banque et un Conseiller juridique, Maître Sallin. Au début, il semblait que nous allions devoir passer à la caisse. En allongeant la discussion, nous avons constaté que la Banque avait autorisé elle-même le dépassement du crédit fixé à la base à quarante mille par cosignataires. La dette réelle du club se montait à sept cent huitante mille francs. Même le Président du Tribunal, Monsieur Esseiva, arrivé un peu plus tard dans la journée, a confirmé qu'au point de vue juridique, l'action était irrecevable, c'était la Banque qui était fautive. Nous étions soulagés et heureux...

    Après cet incident qui a bouleversé fortement certains membres, le CCH a été dissout. C'est là que la fameuse campagne "Il faut sauver Gottéron" avec manifestations et tapages en tous genres a porté ses fruits puisque la situation financière du club a été assainie durant quelques temps.

    Pour revenir au fonctionnement de CCH, nous avions créé des statuts, dont l'un des articles vaut le détour : l'assemblée générale de la coopérative avait lieu une fois l'an à Moscou. Nous étions une équipe, provenant principalement du domaine de la construction et des bâtiments, une équipe de noceurs. Première assemblée générale, vol pour l'URSS en business classe, il y avait Conrad du Lion d'Or, les Ropraz Entrepreneurs, Doudou des Ascenseurs. Nous étions logés à l'Hôtel Baltschug Kempinski, s'il vous plaît, un cinq étoiles en face du Kremlin avec Saint Basile, ses dorures et ses tours. En tant que Président, j'ai même eu droit à une chambre plus grande que les autres, une petite suite qui donnait sur deux rues, avec trois fenêtres d'un côté, trois fenêtres de l'autre. Jean-Marie était déjà venu en repérage, je me demande bien pourquoi d'ailleurs. Quand le soir est arrivé, que font les hommes seuls dans une grande ville réputée pour ses belles femmes ? Il fallait trouver le Ni Flè, disait Nanet. En vérité, le nom de l'établissement était Night Flight, vol de nuit, mais Antoine de Saint-Exupéry n'y avait certainement plus grand chose à voir. Les poupées russes, nombreuses, des secrétaires ou des étudiantes, acceptaient quand même, pour cent cinquante ou deux cents dollars de venir dormir avec un homme, surtout au Baltschug Kempinki. Trois ou quatre jours, il nous les fallait pour une assemblée générale, le temps de visiter les lieux, de se faire plaisir.

    Un soir, j'étais vraiment sur les rotules, j'avais décidé de ne pas sortir, de rester en chambre. Après quelques heures de sommeil, je me suis réveillé et le bar de l'hôtel devait être encore ouvert. Je suis descendu et j'ai demandé au barman :

    - N'avez-vous pas de dames de compagnie ?

    - Non, non, non, voyons, nous sommes un établissement respectable. Pas de cela ici.

    - Réfléchissez-y !

    C'était deux heures du matin. J'ai quitté le bar et après trois marches vers l'ascenseur, j'ai aperçu une femme, manteau de cuir noir, col relevé ... aïe ... le téléphone arabe, enfin russe avait dû fonctionner très rapidement. J'ai passé la nuit avec mon inconnue. J'ai même oublié la protection habituelle dans le feu de l'action. Heureusement, test à l'appui une fois rentré, il n'y a pas eu de problème de ce côté-là. Mais le matin, elle s'incrustait ! Nous avions une réunion à dix heures, il fallait qu'elle s'en aille. Finalement, elle est partie, ouf !

    1Le Gotteron (ou Gottéron, appelé en allemand Galtera ou Galternbach), qui signifie "chaudron" et désigne une vallée encaissée en franco-provençal, est un cours d'eau de Suisse qui traverse une partie du canton de Fribourg. La rivière Galtera prend sa source au nord de la commune d'Oberschrot, s'écoule vers le nord puis l'ouest dans l'étroite vallée nommée Galterengraben flanquée de falaises qui, depuis le Moyen-Âge, abritait des moulins et des martelleries. Environ un kilomètre avant de se jeter dans la Sarine (bassin du Rhin), à l'entrée de la ville de Fribourg, la rivière et la vallée prennent le nom de Gotteron, source Wikipedia

    2En Suisse alémanique, le terme de "Welch" désigne les habitants de la partie francophone suisse

    Tiré du livre de Francis Mauron Le dernier chantier


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