• Ravioli à la vapeur. Les chinois savent décidément l'art de la cuisine.
    Des familles… des couples… et moi. Alors, je regarde et j'écoute.
    Une femme qui parle beaucoup, avec un homme qui écoute beaucoup…
    Un couple… tient, elle a les cheveux blancs, comme moi, sauf qu'elle doit avoir 20 ans de moins…
    Une famille, je vois une jeune fille qui n'en peut plus de regarder l'aquarium… c'est vrai que les poissons sont jolis… spécialement un grand jaune et bleu qui fait des pirouettes… je me demande s'il n'a jamais connu la liberté ou s'il ne sait rien d'autre que la vie en aquarium… Est-ce que ça peut être malheureux parce qu'il est enfermé dans un aquarium, un poisson? Est-ce que ça peut être malheureuse, ou mélancolique, une jeune fille qui regarde les poissons de l'aquarium… Peut-être… ou alors elle s'ennuie profondément… seulement elle n'ose pas dire qu'elle s'ennuie… que les banalités qui se racontent à sa table ne l'intéressent pas… ou alors, elle ne prend même pas la peine d'écouter, puisque les poissons ça l'intéresse plus que les humains…
    Une autre famille… trois générations… une adorable petite fille qui convoite malicieusement la carotte méticuleusement sculptée qui décore mon plat de poisson… elle a d'ailleurs eu un air désolé quand elle a vu que le plat avait disparu… j'avais bien eu l'idée lui proposer la carotte… je ne l'ai pas fait… La génération des parents… deux femmes l'une très consciente de son rôle de mère : "mange la carotte, mon chéri, c'est bon pour la vue…" et l'autre qui a l'air de juste débarquer d'une autre planète, qui dit à son mari "tu m'emmerdes, mon chéri" alors qu'il rétorque "vous savez, quand elle me dit tu te souviens mon cœur… c'est celui d'une bijouterie…" la belle sylphide me lance un regard du style "vous avez vu comme il est grossier, vous avez vu comme je m'ennuie sur cette planète" en quittant le restaurant… Et les hommes de la génération, quand ils sortent à la terrasse, au bord de l'Arve qui coule majestueusement à cet endroit, ils me lancent un regard de conquistador… ça me fait plaisir, je dois plaire encore… c'est la génération du pouvoir, ils se sont disputé l'adition… Et les grands-parents… tiens, les femmes plus tard, sont plus en forme que les hommes… il me lance un regard – ou alors je suis un peu télépathe – la vie passe si vite, je n'ai pas compris l'essentiel, et maintenant que mon corps devient défaillant (il ne l'a certainement pas écouté), je tente de revenir à ce qui est important, mais j'ai le sentiment que je suis tout seul…
    Et moi, avec mon eau minérale et ma demi bouteille de rosé, je passe un bon moment parmi tous ces humains… la nature est belle, à la route du Pas de l'Echelle 2, à 1255 Veyrier…
    Et je rentre dans mon antre, écrire un peu… et puis dormir un peu…

    Christiane Kolly
    17 juin 2007
    Conches


    votre commentaire
  • J'ai rencontré dimanche quelques myosotis, comme joliment oubliés sur un bouquet rose d'oeillets nains.

    • Pourquoi nous as-tu oubliés me disaient-ils?

    C'est vrai qu'ils tentaient modestement de décorer une table, au milieu d'un abondance toute slave de victuailles. Le jardin aussi, abondance de fleurs de toutes sortes. J'ai écouté les myosotis. Ils me chantaient les petits chemins de mon enfance, les murmures des ruisseaux, les éternels pèlerinages des abeilles en quête de pollen. J'ai appris à aimer la rose, le lys et l'orchydée, mais les myosotis, mes premières amours, c'était inné : leur bleu, leur délicatesse, leur humilité, cette manière de toujours être en groupe... mais surtout cette beauté qui, pour la voir, il fallait le vouloir et s'y pencher!

    Théa d'Albertville
    5 juin 2007
    Conches

    myosotis


    votre commentaire
  • Un gros rocher. Oui, c'est vraiment un très groshttp://theadalbertville.kazeo.com/la-petite-fille-du-desert-christiane-kolly-a121204050 rocher : cinq six mètres de hauteur qui augmente en direction de la montagne, vers la droite. De l'autre côté, les hommes ont remplacé la suite naturelle du monstre de pierres par un pont.

    Une longue ligne droite, environ trois cents mètres qui permet de prendre de la vitesse, un virage à gauche à trente degrés qui prend fin sous le pont. Au volant de ma voiture, je roule assez vite sur la ligne droite. Je vois le rocher, comme pour la première fois. Il me fascine. Une fraction de seconde pour me dire mais voilà la solution, tu ne tournes pas le volant et envolés les problèmes, disparues les disputes, éliminées les angoisses existentielles, la fin du tunnel où il n'y a pas de petite lumière qui indique l'autre extrémité, la liberté... Une autre fraction de seconde et deux petits visages me sourient, perplexes? Non, non, non. La lutteuse revient. Tu ne vas pas te laisser abattre, abandonner, tu es forte, tu as de la volonté. Arrête tes conneries. Et, comme malgré moi, mes mains font leur travail. Je vire à gauche et passe sous le pont.

    Seigneur, j'ai eu envie de me suicider ? La situation est grave. Où est mon instinct de conservation, si présent d'habitude. Comment ai-je fait pour en arriver là ? La mélancolie me guette et je sens chaque jour mes forces diminuer. Il est grand temps de réagir. Un jour l'appel du rocher sera peut-être plus fort, saurai-je lui résister et ne pas succomber à la tentation ?

    Un appartement dans une maison vieille d'une trentaine d'années, trois pièces, cuisine, toilettes et salle de bains, nous vivons là, mon mari, mes deux fillettes et moi depuis quelques mois. Nous avons repris un salon de coiffure qui se trouve sous l'appartement. Je rentre, heureuse de retrouver mes petites nanas. Elles courent vers moi et m'embrassent en me serrant fort. Quel bien cela fait...
    - Où est papy ?
    - Au bistrot.

    Je respire profondément. Un moment de répit avant l'affrontement devenu quasi quotidien entre nous et en même temps, je ne comprends pas la désinvolture de celui qui a la responsabilité, en attendant que j'aie terminé cette école de coiffure, de faire tourner la boutique. Pourquoi est-il en train de faire le paon au café du coin alors que des clients pourraient avoir envie de se faire couper les cheveux, un salon de coiffure, c'est quand même fait pour cela. Pour les gens qui passent devant la vitrine et voient trop souvent l'écriteau " Je reviens dans dix minutes ", les réflexions doivent aller bon train :
    - il n'est jamais là...
    - il ne va pas faire long feu ici...
    - ce n'est pas sérieux, il est toujours au bistrot.

    Profitant du calme, alors que mes filles jouent derrière la maison, je m'allonge et réfléchis. La situation est grave. Nous avons fait une erreur en venant dans ce village. Ce n'est pas en changeant de lieu et de travail que l'on résout une problème si profond. Mais que faire? La communication entre lui et moi est devenue si difficile.

    Une petite sonnette résonne toujours dans ma tête et je me questionne. Si tu ne réagis pas, ma vieille, tu vas mourir. Tu vas le quitter, il n'y a pas d'autre solution. Et les filles, elles ne verront plus beaucoup leur papa, tu n'as pas le droit de faire cela. Et pourtant, ne vaut-il pas mieux une maman seule que des parents qui se comprennent si mal et se disputent si souvent. Résiste encore un peu, prends ton courage à deux mains.

    Dans ma tête, ça bourdonne de plus en plus, mais, au milieu de ce foisonnement, j'entends soudain une petite musique de délivrance, je vois une lumière minuscule au bout du tunnel. La certitude d'avoir été aux limites de ma résistance me donne le feu vert pour réagir, pour oser espérer un avenir meilleur. Mais comment faire ?

    Divorcer, les avocats, les séances au tribunal, les amis communs à qui l'on demande de témoigner, le partage des biens, j'en ai entendu parler, ça ne va pas être simple. Je n'ai pas d'autre solution. J'ai touché le fond, je ne peux que remonter.

    Je l'entends qui rentre. Mon coeur bat la chamade. Si je ne dis rien, la soirée peut être agréable. Je vais me taire.
    - Salut, tu as eu une bonne journée ?
    - Oui, c'est tranquille, mais je me plais beaucoup ici, les gens sont agréables et je me suis fait beaucoup de copains.
    - Les affaires vont bien ? Tu vas chercher les clients au bistrot ?

    Je n'ai pas pu me taire devant tant d'irresponsabilité. Un homme, chef de famille, fort, toujours prêt à se battre, solide, c'est comme cela que je l'imaginais. M'aurait-on raconté des histoires ?
    - Ah ne recommence pas avec cela, tu sais bien que c'est le début et, quand tu auras terminé l'école et que tu seras présente toute la journée, ce sera plus facile. Aujourd'hui, je suis cloué à la maison avec les filles. Il est normal que, de temps en temps, j'ai envie de voir du monde.
    - De temps en temps ? Quand je serai présente toute la journée, tu auras la belle vie, tu pourras t'absenter encore plus souvent ?
    - J'en ai marre de tes éternels reproches. Je sors.

    Deux paires d'yeux me fixent. De l'inquiétude, de la tristesse, de l'incompréhension face à ces deux adultes qui se disputent continuellement alors que ces mêmes adultes prétendent que se disputer, ce n'est pas beau. J'y vois même de la compassion, dans ces yeux et je sens les larmes, comme trop souvent, envahir mon être. Non, non, non. On va jouer toutes les trois et passer un bon moment ensemble, je pleurerai après.

    Elles sont couchées, apaisées. Pourquoi ne puis-je pas me comporter comme elles, inquiètes un moment, mais capables, après quelques câlins de vivre le moment présent sans mouliner, sans tergiverser et sans se poser de questions sur leur avenir? Pourquoi ai-je grandi si vite? Pourquoi ai-je été si pressée de voler de mes propres ailes?

    C'est si bon l'enfance, la mienne je m'en souviens avec un goût de miel dans la bouche et je donnerais ma bague de fiançailles pour y retourner.

    Christiane Kolly
    25 juillet 2001
    Souvenir de Grandvillard
    Vuisternens-en-Ogoz


    votre commentaire
  •  

    En parfaite symétrie, naseaux contre naseaux, leurs formes se dessinent dans le matin.
    Vue magnifique d'une nature qui commence à se laisser regarder, fond vert, clair pour le pré et foncé pour la forêt, un peu plus loin.
    Seuls les poteaux, blancs rayés de noir indiquent la présence des hommes.
    Parfaite découpe brun foncé de deux chevaux qui se font la cour.
    Enfin, c'est ce que j'imagine, en passant au volant de ma voiture.
    Leurs pattes sont immobiles. Seules les têtes bougent. Ils se reniflent, s'immobilisent un moment. On dirait qu'ils se regardent, les yeux dans les yeux.
    Cela ressemble à un rite immuable, les mêmes mouvements répétés, génération après génération. Séduire la femelle. Se laisser séduire par le mâle. Continuer la vie.
    Cinq secondes, je ne les vois plus. Je les imagine courant côte à côte dans le pré... Ils ont disparu de ma vue.
    Ils continuent leur chemin et moi le mien.

    Théa d'Albertville
    mai 2002
    Villarsiviriaux

    Thea - Bisous equins

    deux-chevaux01


    votre commentaire
  • "Essuyez vos pieds" sur une affiche avant de passer la porte de la maison. "Eteindre les téléphones portables" avant de passer la porte de la salle du tribunal.

    op_glaneDans la salle, sur la gauche, le président et 4 juges siègent, les visages impassibles, sérieux, de circonstance.
    Je vais m'asseoir, au fond à droite, sur un des bancs réservés au public.
    Devant moi, trois magistrats: le procureur de la république, l'avocat de la veuve et l'avocat des orphelins. Le trio impressionne: robes noires avec écharpe rouge pour le procureur et écharpes noires aux extrémités blanches pour les avocats. Devant eux, la veuve l'air faussement décontracté et un des orphelins, curieux et un peu inquiet. Sur ma gauche, tout près de la porte d'entrée, l'avocat de l'accusé, même costume que ses confrères, et devant lui, l'accusé.

    Il est tendu, ses zygomatiques tressaillent un peu par moment.
    Sur les bancs, quelques curieux venus assister au procès.
    Lecture des procès-verbaux des interrogatoires précédents. Accident de la route, choc frontal avant gauche contre avant gauche. Mort du conducteur d'un des véhicules. C'est le conducteur resté vivant qui est aujourd'hui assis là, prévenu d'infraction à la loi sur la circulation routière, d'homicide par négligence et d'ivresse au volant. Il avait, après l'accident, encore deux et vingt quatre pour mille d'alcool dans le sang. Aux environs de 19 heures, ce soir-là, il y avait du brouillard par endroits. Sur les photos prises par la police, pas de brouillard. Selon les experts en matière d'accident, l'accusé empiétait de vingt à trente centimètres sur la voie réservée aux véhicules venant en sens inverse. Selon les mêmes experts, l'homme qui est décédé roulait également à quelque vingt centimètres sur l'autre voie.

    L'accusé, lui, affirme être resté sur sa droite et avoir été capable, malgré la quantité d'alcool ingurgitée, de se souvenir de cet élément. Il raconte ensuite sa soirée de la veille: match aux cartes, bien arrosé, rentrée à 3 heures du matin, à pieds. Le lendemain à 8 heures, il avait rendez-vous avec un copain pour transporter du bois. Il se sentait un peu fatigué, mais tout à fait capable de conduire. Il reconnaît avoir été un habitué à l'alcool. Il affirme avoir, ce jour-là, bu une bouteille de vin rouge à midi entre 4 personnes, puis 4 ou 5 bières durant l'après-midi, avant l'accident. Selon les experts, c'est impossible, et pourtant il insiste.
    Il dit aussi qu'il aurait préféré être à la place du mort, cette phrase ne semble pas avoir été entendue. L'accusé est traité sans ménagement, avec mépris. Quel acharnement sur un seul homme...

    Cinq membres du tribunal, le procureur et deux avocats, ils sont huit à tenter d'anéantir cet homme. Que lui reste-t-il, à part la fierté de confirmer ses dires, même si ceux-ci paraissent invraisemblables, garder la tête hors de l'eau même s'il est prêt de se noyer. On parle peu d'homicide, on parle d'alcool, beaucoup d'alcool. Et s'il n'avait pas bu ce jour-là et se serait trouvé au même endroit au même moment...
    Et puis, y a-t-il une seule personne dans la salle qui n'a pas un jour pris le volant après avoir festoyé? Que celui qui n'a jamais menti ou bu lui lance la première pierre...

    Un témoin avait croisé notre accusé quelques secondes avant l'accident et affirme avoir été effrayé. Il a passé très près du véhicule de l'accusé en le croisant. Il a même, dans son rétroviseur, eu le temps de voir des feux clignotants. Pourquoi a-t-il passé si près? Dans ce virage, nombreux sont les conducteurs qui ont passé près souvent...
    Un ami de l'accusé vient témoigner, celui qui avait passé cette horrible journée avec lui. Il semble que lui aussi ne soit pas du bon côté, qui ose affirmer que si on rentre à pieds, il n'y a pas de mal à s'enivrer. Il fait mauvaise impression...
    Au tour de la psychologue de l'orphelin présent : il est si perturbé qu'il a dû arrêter l'école, idées suicidaires probablement liées à l'absence du père. On oublie quand même de dire que le couple était séparé.
    Le maître d'école vient témoigner de l'état grave dans lequel se trouve l'orphelin.

    Et puis, l'orphelin émet le désir de participer au réquisitoire et aux plaidoiries.
    Grave question. Le tribunal se retire pour en délibérer et revient. La demande de l'orphelin est rejetée, malgré un avis favorable de la psychologue. Ainsi, quand un adolescent demande de connaître la vérité, enfin celle qu'on veut bien montrer, pour le préserver, sa demande est rejetée... La vérité n'est-elle pas préférable au doute, à l'imaginaire, pour un enfant qui se sent mal?

    Dans le réquisitoire, le procureur utilise les mots "inacceptable", "scandaleux" pour qualifier le taux d'alcool contenu dans le sang de l'accusé. Il parle ensuite de mépris de l'évidence démontré par l'accusé. La dignité et de respect que l'on doit aux enfants et aux proches sont relevés. Il s'est saoulé le jour en question, a pris le volant et a tué le conducteur.
    L'avocat de la mère adhère aux propos du procureur. Il déplore que l'accusé soit un buveur par habitude et aurait aimé voir chez lui un profil plus bas. L'accusé s'est-il enfermé dans l'image d'une personne hasardeuse et chancelante. Pourquoi?
    Le magistrat représentant les enfants rappelle que ceux-ci se demandent pourquoi leur père est mort. Il se rallie à l'indignation du ministère public et joint celle des enfants.
    Vient ensuite l'avocat de la défense. Son client démontre depuis l'accident de la bonne volonté. Il est aidé et accompagné, a suivi un traitement à l' "antabuse " et continue de voir un médecin. Il reconnaît aujourd'hui être malade d'alcoolisme. Son client reconnaît avoir conduit en état d'ébriété. Il réfute l'accusation d'avoir circulé sur l'autre voie et d'être responsable de la mort de quelqu'un.
    Une heure plus tard, verdict: l'accusé est reconnu coupable de violation de la loi sur la circulation routière, homicide par négligence, ivresse au volant.

    La peine : 12 mois de prison avec sursis durant 5 ans, obligation de poursuivre le traitement contre l'alcool avec prises de sang régulières, amende de 5000 francs et frais à sa charge.

    C'est comme à Rome, dans l'arène... C'est le sentiment que j'ai eu devant l'acharnement des huit magistrats sur un seul homme.
    Faute, il y a eu, mais pourquoi appuyer autant sur la tête d'un homme, l'humilier si fort.
    "J'aurais voulu être à sa place" a-t-il dit, cela ne démontre-t-il pas la grandeur de sa souffrance...

    Christiane Kolly
    mai 2002
    Villarsiviriaux


    votre commentaire
  • La Tchatche
    Internaute à mes heures, je "tchatchais" sur un site de rencontres. Eh oui, je suis à la recherche d'un homme pour partager ma vie, enfin des moments de ma vie. Je tchatchais donc et… entre en contact avec moi, appelons-le Edouard. Nous parlons un peu. Mon affiche l'avait attiré. Je vous en donne quelques extraits pour comprendre la suite [Si j'étais - Un mot, Amour - Une couleur, Indigo - Un sentiment, Paix - Un élément, Air - Un aliment, Pain - Une boisson, Vin - Un politicien, Gandhi - Un poète, La Fontaine - Un livre, Le prophète - Une ville, Rome - etc.].
    Sur ce site, je pouvais voir sa photo. Une impression bizarre m'est venue à la vue de cette photo. Un regard perçant, des yeux cernés… Quelque chose a commencé à se passer en moi, un sentiment confus. Nous nous trouvons des points communs évidents, recherche personnelle, évolution, vivre le moment présent, et aide à son prochain. Nous échangeons nos numéros de téléphone. Au premier appel, un "feeling" certain s'est installé, vous savez comme si on se connaissait déjà. Je dois faire quelque chose pour lui Dans la discussion, mon sentiment se précise, des mots commencent à me venir à l'esprit.

    Les dons psychiques
    voilà, cette personne est psychique et il est possible qu'elle court un danger… Je vais l'aider… Je cherche dans les livres de développement personnel, je ne trouve rien. Je pose la question par internet et je reçois une gentille réponse: rien d'écrit pour le moment, mais il y a une cassette. C'est vrai, j'ai la cassette, c'est là que j'avais entendu parler de cela et dans des cours, certainement. Pourtant, je l'ai déjà écoutée plusieurs fois cette cassette… Oh, oublie… Mais l'idée me poursuit, fais quelque chose pour lui, il est psychique…

    La cassette
    En bon Saint-Bernard que je suis, j'écoute la cassette et me réjouis déjà à l'idée de pouvoir venir en aide à Edouard. Je commence… Je prends des notes… Au début, je me dis, super, c'est exactement ce qu'il LUI faut… Et puis j'arrive au passage de la description de la personne psychique : Les connaissances sont très importantes pour ce type de personne... Elle suit beaucoup de cours, elle alimente son intellect... L'intellect est placé dans le plexus… Elle peut consommer avec exagération sucre, alcool, drogue pour ne plus sentir… Elle capte les peurs des autres, les colères… L'énergie de son plexus est beaucoup trop utilisée… Et puis un peu plus loin … si vous voulez développer l'intuition, laissez passer l'énergie depuis le plexus par le chakra du cœur - apprendre à aimer et à s'aimer - puis par le chakra de la gorge - apprendre à le dire…

    La conscientisation
    Et là, les larmes me sont montées aux yeux… et elles ont commencé à couler sur mes joues… J'ai entendu ce discours certainement plus de 20 fois, avec mes oreilles, avec ma tête… Ce moment était différent, ça se plaçait dans mon cœur et j'ai ressenti à quel point c'était important pour moi. Dans le plexus, le chakra du centre solaire, deux centimètres au-dessus du nombril, j'y suis plus souvent qu'à mon tour… Moi qui dis à tout le monde d'être dans son cœur, qui ramène ma science, qui insiste pour dire à quel point il est important de ne pas rester au niveau de la tête… je n'avais jamais entendu vraiment que l'on pouvait aussi rester prisonnier de son plexus…

    Les chemins de la vie
    Les chemins que la vie nous fait prendre sont parfois bien étranges… En voulant venir en aide à quelqu'un qui ne m'avait rien demandé, je mets le doigt sur quelque chose d'extrêmement important pour moi… Je vais quand même résumer la cassette pour Edouard, je reste convaincue que cela lui sera bénéfique. En réalité, c'est à moi que ce moment aura été le plus profitable, puisque depuis l'instant où j'ai ressenti comme une ouverture à l'intérieur de moi, depuis le ventre vers le cœur, je ne suis plus tout à fait la même… Il restera les habitudes à apprivoiser, observer quand je suis dans mon plexus, accepter et petit à petit laisser ce passage vers le cœur, la gorge, l'intuition ouvert en permanence.

    Merci Seigneur, merci Lise, merci Edouard…

    Théa d'Albertville
    21 avril 2002
    Villarsiviriaux


    votre commentaire
  • Une autre dimension, c'était donc cela…

    Elle se retrouve dans cet espace de calme, de paix, de lumière. Un bien-être, impossible à décrire avec des mots de la terre l'a envahie. A ses côtés, serein rempli d'amour et de compréhension, Georges enfin c'est le nom qu'elle a donné, à son guide retrouvé. Mais pourquoi l'a-t-elle si longtemps oublié?

    Il y a quelques heures à peine, mais cela lui semble une éternité, elle a vécu des événements terribles. Elle se lève tôt. Petit-déjeuner, toilette, elle s'habille, tailleur gris et chemisier jaune, mocassins de luxe, maquillage discret, quelques babioles, coquetterie oblige, attaché case.
    Un quart d'heure de marche, entre les hauts bâtiments de son quartier, elle croise des centaines de personnes, sans en voir aucune. Son pas rapide et décidé l'amène vers huit heures trente à son bureau, au cinquante quatrième étage du bâtiment où elle travaille. Avec des gestes d'automate, elle s'installe et prend le premier dossier qu'elle doit avoir bouclé pour dix heures. Parfait, il sera… enfin c'est ce que son patron exige. Et si ce n'est pas le cas, elle risque de se voir virée pour être remplacée par plus performant qu'elle. La compét, toujours la compét…

    Elle est lasse de cette vie… Peur de ne pas être à la hauteur, peur de se faire jeter, peur qu'un collègue lui fasse un enfant dans le dos.
    Vide aussi, sa vie affective, vide, succession d'échecs, pas de temps pour aimer. Sa mère, son père, ils vivent dans un état très éloigné, elle les entend une fois par semaine et ils se racontent des banalités, des fausses vérités, "tout va bien", "je suis très heureuse ici", "non, non, ne t'inquiète pas maman, je viendrai vous voir à Noël ou à la Trinité". Mais sa maman sait, elle sait qu'au fond du cœur de sa petite fille, tout au fond, il y a un besoin d'aimer, d'être aimée, de faire des enfants. Faire un enfant, elle n'a pas le temps, sa carrière…

    Soudain, un bruit de tonnerre, des gens qui hurlent, la tour s'effondre.
    Elle se retrouve à deux mètres du bâtiment, dans le vide. Mais son corps y est resté. Serait-elle morte? A ses côtés, beaucoup d'autres êtres qui observent la scène. Ils sont morts… Mais non, puisqu'elle pense, elle regarde, elle ressent. Elle est légère, légère, plus de corps physique. Une voie se dessine à travers la fumée noire, à travers cet espace envahi de peurs, une voie, une lumière dans toute cette noirceur.
    Elle se retrouve au-dessus de cette ville, au-dessus de la terre. Quelques heures et sa vie a basculé. Sa vie? Quelle vie? Cette vie qu'elle n'appréciait plus.
    Baignant dans la paix, elle se retrouve là, à côté de Georges son guide. Elle le reconnaît, pourquoi l'avait-elle oublié? Ils avaient pourtant décidé ensemble de cette vie. Elle retournait sur terre pour apprendre à aimer. Oublié…

    La dernière fois, elle se souvient. Elle est à côté de Georges, dans la plénitude de cette dimension, baignant dans l'amour. Puis ils prennent ensemble une décision. Aller sur terre, vivre au milieu des hommes, dépasser des blessures que son être a accumulées au cours de ses existences précédentes. Blessure d'injustice, blessure de rejet. Un petit voyage sur terre lui permet de choisir deux êtres, son père et sa mère. Ils s'aiment, comme ils s'aiment. Elle leur demande, dans l'inconscient, dans leurs rêves, s'ils l'acceptent comme leur enfant. Ils ont déjà un garçon et désirent une fille. Alors, elle s'installe dans le petit corps fécondé à l'intérieur de sa mère et naît un jour au milieu d'eux. Nouveau-né. Les premiers jours, les premières semaines, les premiers mois, Georges est près d'elle, elle lui sourit l'apercevant à côté de son frère et de ses parents. D'ailleurs, Georges son guide n'est pas seul, son ange gardien est là aussi. Premières années, elle a encore de longues discussions avec eux. Mais quand elle en parle autour d'elle, personne ne la croit, elle a des visions. Alors, elle fait confiance aux grandes personnes et oublie Georges et la raison de sa présence sur terre : apprendre à aimer. Elle arrête de parler avec son guide Georges, avec son ange et malgré qu'ils sont toujours présents à côté d'elle, elle les oublie…

    Et puis, des événements viennent réveiller ses blessures. Injuste, elle trouve injuste que son frère puisse jouer au ballon et qu'elle, qui préfère le ballon, doive se contenter des poupées. Colère contre sa mère, sentiment de révolte, elle oublie d'apprendre à aimer, de comprendre qu'ils agissent au mieux de leur connaissance, pour son bien. Première couche sur sa blessure d'injustice. Plus tard, même scénario, son frère sort avec les filles, rentre sans donner d'explications à l'heure qu'il veut. Et elle, elle sort sous bonne garde et n'a pas le droit de rester seule avec un garçon. Mais pourquoi cette différence, c'est injuste… De nouveau, elle oublie que ses parents font de leur mieux. Révolte, colère, sentiments négatifs, deuxième couche sur sa blessure. Et ça continue… Ils ne l'aiment pas, il l'empêchent d'être ce qu'elle veut être, ils la rejettent. Mais non, elle se sent rejetée, réveil de sa blessure de rejet.

    Pourtant, si elle continuait à dialoguer avec Georges, il lui dirait comment dépasser ses blessures.
    Plus tard, avec ses professeurs, ses patrons, les hommes qu'elle côtoient, le même scénario se reproduit à chaque événement. Alors, elle met des masques sur son être. Elle devient rigide, de plus en plus rigide face à l'injustice. Elle devient fuyante, de plus en plus fuyante, face au rejet. Elle se sent mal, de plus en plus mal, de plus en plus souvent mal, avec les êtres qui l'entourent.
    Et pourtant, elle cherche pourquoi… De temps en temps, elle va à l'église, demander à Dieu de lui venir en aide. Mais elle ne prend pas le temps d'écouter ce qu'il lui répond, elle repart dans ses activités effrénées.

    L'amour… quelque part au fond d'elle-même, elle sait que c'est là… la solution. Quand elle est amoureuse, dans les premiers moments, elle sait aimer, sans demander de comptes, inconditionnellement, en gommant les aspects qui lui plaisent moins pour ne voir que les qualités de la personne. Mais elle est incapable de faire durer cet amour. Quand les problèmes surgissent, elle fuit. Son égo, si fort, si présent a le dessus. "Tu ne vas quand même pas te laisser faire cela, te laisser traiter de la sorte, montre lui qui tu es, laisse-le". Et elle fuit. Elle n'a rien résolu.
    Et la voilà, à côté de Georges, dans cette dimension merveilleuse où il n'y a plus ni jugement, ni compétition, ni critique. De l'amour, seulement de l'amour… Et maintenant, le temps n'existe pas, l'espace n'existe pas. Elle retrouve la sérénité. Elle baigne dans la lumière.

    Renaître, renaissance? Va-t-elle y retourner? Ses blessures sont toujours là, inactives.
    Une vie de repos, dans une autre dimension?
    Une vie sur la terre, son frère y est toujours et il a une fiancée… ?
    Une vie chez les pauvres, les affamés, pour soigner sa blessure de rejet?
    Une vie chez les militaires, les policiers, pour soigner sa blessure d'injustice?
    Renaître ou ne pas renaître, voilà la question… Shakespeare devait avoir dépassé bien des blessures…

    Christiane Kolly
    Après le 11 septembre 2001
    Vuisternens-en-Ogoz


    votre commentaire
  • Le bras cassé de mon frère - Christiane KollyLes foins sont très hauts, prêts à être coupés. Qui n'a jamais pris la peine de se promener dans le foin que l'on va bientôt faucher, ou plutôt au bord d'un champ de foin, car le paysan n'apprécie guerre les citadins qui renversent leur précieux fourrage, qui ne l'a jamais fait, et en même temps respiré les odeurs à plein nez, regardé les brins danser au gré de la fantaisie du vent et écouté les chants des grillons, les bruits de la nature, celui-là aura raté un moment important de son existence.

    Un après-midi de juin, Bloc, mon frère, Marguerite, mon amie d'enfance et moi profitons de ce précieux don de la nature, sans nous en rendre compte, évidemment. Nous faisons très attention que papa ne nous voit pas marcher dans son foin. Nous courrons à travers champ, jouons à cache-cache dans les hautes herbes et nous trouvons tout-à-coup à côté d'une petite construction de pierres de trois mètres de longueur, deux de largeur et deux de hauteur. C'est le réservoir d'eau. Une porte permet d'y entrer. Allons voir à l'intérieur. Il y fait très frais, durant les premières chaleurs de juin, c'est vraiment un don du ciel. Une échelle est là, suspendue.
    - On va monter sur le toit? dit Marguerite.
    - Bonne idée, on va voir ce qu'il y a la-haut, dis-je.
    - D'accord, dit mon frère, mais sans grand enthousiasme. Il devait pressentir quelque chose.

    Sitôt dit, sitôt fait. Nous voilà, Marguerite et moi sur le plat de cet édicule avec en cadeau, comme chaque fois que l'on se trouve sur une hauteur, une impression de liberté, de grand air, de bonheur.
    - Tu viens, Bloc.
    - Oui, j'arrive.

    Nous continuons à faire les folles sur ce toit durant un moment. Et puis l'idée nous vient de sauter dans l'herbe.
    - C'est haut, tu ne trouves pas? dis-je.
    - Oui, j'ai peur de sauter, c'est trop haut, dit Marguerite. Mais la peur excite, c'est bien connu et, advienne que pourra, nous avons sauté toutes les deux. Le foin a rendu plus doux notre contact avec le sol et, très fières, nous faisons le tour du petit bâtiment pour remonter.

    - Qu'est-ce que tu fais sur cette échelle? Monte ou laisse-nous passer? La fierté du mâle, tout de même, Bloc grimpe les échelons, l'un après l'autre, poussé par nous.
    - Tu viens, saute, tu ne risques rien, l'herbe est très haute et la terre encore un peu humide dessous? Il hésite.

    Marguerite et moi sautons une nouvelle fois. La peur avant, l'impression de voler pendant, l'atterrissage, que d'émotions. Nous vivons un grand moment. Nous remontons l'échelle, sautons, remontons, sautons à nouveau. Bloc nous regarde toujours. Il n'ose toujours pas. Une grande excitation nous envahit.
    - Mais enfin, tu n'as pas honte, toi, un garçon, tu n'oses pas sauter et nous, des filles on le fait avec plaisir. Je dois dire que j'ai, moi aussi, un peu honte d'avoir un frère si craintif.

    Quelques sauts plus tard, quelques incitations plus loin, Marguerite, soudain décide de l'aider un peu. Il se trouve au bord, prêt à y aller. Une petite pousse dans le dos et Bloc saute. Il se crispe, a peur, et tombe mal, très mal puisqu'une douleur dans le bras le fait aussitôt crier.
    - J'ai mal, j'ai mal, tu m'as cassé le bras. Il pleure de plus belles et la douleur se lit sur son visage. Nous remontons vers les maisons. Marguerite panique, c'est elle qui a peur maintenant.
    - Je dirai que ce n'est pas moi, tu es tombé tout seul. Je ne veux plus jamais vous voir, je rentre à la maison.

    Et en effet, la visite du médecin de famille confirmant, Bloc a le bras cassé et se retrouve handicapé.
    Je suis un peu triste pour mon frère qui souffre. Dans le fond, je suis aussi très fière d'avoir osé davantage que lui. Ainsi, la peur n'est pas un sentiment purement féminin, j'en ai la preuve.
    Personne n'a su que Marguerite avait poussé Bloc. Il me reste de cette expérience un profond sentiment d'injustice chaque fois que j'entends dire : les filles pleurnichent pour un rien et les garçons sont les plus forts, ils osent plus et ne pleurent pas, eux?

    Christiane Kolly
    25 juillet 2001
    Souvenir de la Montagne de Lussy
    Vuisternens-en-Ogoz


    votre commentaire
  •  

    J'ouvre un oeil. Pas un bruit. Il doit être cinq heures ou six heures du matin. Il fait encore nuit, mais de la lumière est déjà présente. Dans quelques dizaines de minutes, le soleil va se lever.

    Depuis trois jours, je loge, si j'ose dire, dans cette tente berbère. Ce n'est pas la tente berbère que l'on voit dans le film " Ben-Hur ", avec de si beaux tapis et de la vaisselle délicate. Non, dans celle-là, il y a huit lits de camp, faits, chacun, de quatre pieds et d'un entourage métalliques et, pour soutenir la pièce de mousse qui tient lieu de matelas, encore du métal, placé là comme la garniture sur un gâteau d'anniversaire. Un oreiller, deux couvertures et le tour est joué. La difficulté consiste à se coucher en posant le poids à partir du centre du lit, faute de quoi les pieds s'enfoncent inexorablement dans le sable. Une pierre dessous, bonne solution, à condition de ne pas trop bouger.
    En plus de ce lit improvisé, je dispose de quelque cinquante centimètres carrés pour mes affaires personnelles, un sac de voyage, le plus léger possible.

    Vous l'avez compris, je suis dans le désert, à cent mètres d'une oasis. Je mets un pied dehors. A l'extérieur, huit pièces de bois fixent la toile de mon gîte improvisé, toile faite d'un grossier tissage de laine de chameau. A l'intérieur, d'autres morceaux de bois, plus longs, donnent à cet assemblage l'air d'une tente. Mais quand même, ce sont peut-être eux qui ont inventé le camping et me voilà, à critiquer leur manière, pas très bonne copine ...
    Mes sept camarades de chambre dorment encore. Je vais aller faire un tour. Brr... Pas très rassurant, la pénombre, l'humidité, les appels des dromadaires, des chiens et des oiseaux qui se réveillent doucement.

    A propos, le chameau à deux bosses et le dromadaire une seule, comment s'en souvenir : le dromadaire est menteur, son nom commence par un D comme deux mais il n'a qu'une bosse. La lune aussi est menteuse : lorsqu'elle fait un C, elle décroît et lorsqu'elle fait un D, elle croit. C'est mon truc, si j'ai peur, je me raconte des histoires. Mais, revenons à nos moutons, oui, il y a aussi des moutons, aux alentours du désert.

    Dans le camp, une dizaine de tentes dressées et au milieu, des tables, rangées en ligne, pour restaurer les septante touristes en mal d'aventures, venus apprendre l'amour, celui qu'on ne fait pas, le pardon, la compassion ...
    Ali, un des deux gardiens dort sur la table. Le jour se lève. Une merveille de couleurs qui illuminent chaque seconde. Le petit déjeuner nous permet d'échanger nos impressions, pas banales pour nous.

    Soudain, un quatre-quatre arrive à toute allure. Elle a avalé un verre de pétrole. Venez, venez la sauver. Il se lit dans les yeux du père de la fillette, une souffrance mais aussi de l'incompréhension et de l'impuissance, face à cette situation dramatique.
    Dans l'équipe, Bernadette est médecin. Je l'accompagne, mon cahier et mes crayons de cours dans la main. Nous voilà dans le véhicule, parties secourir la gamine, à quelque centaines de mètres de l'oasis, dans un village ou des cubes blancs, troués à deux endroits pour la porte et une fenêtre, font office de maison. Les habitants se sont rassemblés à l'entrée, pour voir arriver ces étrangères, des points d'interrogation et un peu de malice dans les yeux.

    Nous entrons dans la maison, une seule pièce, un coin à cuisiner, un coin à manger, un coin à dormir. Fatima est là, dans les bras de sa mère, du sang séché sous le nez. Elle a cinq ou six ans, une très belle petite fille, les cheveux et les yeux noirs, le teint mat.
    " Elle a honte ", nous traduit le conducteur du véhicule. Elle pleure de peur, de douleur, mais aussi de honte ? Honte de quoi? D'avoir bu du poison? D'être là, misérable? Nous ne le saurons jamais.

    Bernadette l'ausculte avec difficultés, elle s'accroche à sa mère. Je suis là, avec mon cahier et mes crayons. Voilà pourquoi je suis venue. J'arrache les pages utilisées. Je m'approche de la gamine et commence à dessiner. Elle me regarde. Je la regarde, avec amour. Les crayons vert, bleu, doré et argenté, tous fluorescents attirent son attention, ils sont beaux, elle n'a jamais rien vu de pareil. Je mets le cahier et les crayons dans ses mains. Elle a un mouvement de recul, de peur. J'insiste.
    Elle prend un des crayons et le fait glisser sur le papier. Elle ébauche un sourire et se calme.
    Bernadette continue de l'ausculter et, diagnostic, elle est sauvée. Les douleurs vont s'atténuer. Des calmants suffiront et dans une semaine, il n'y paraîtra plus.

    Retour au camp. Fin de la semaine dans le désert. Retour en Suisse. De temps en temps, je pense à la petite fille du désert. Je lui envoie de l'amour. Je formule des voeux pour qu'elle devienne une belle jeune fille et pour que sa vie soit heureuse, si c'est la volonté d'Allah, comme ils disent ...

    Théa d'Albertville
    octobre 1998
    Vuisternens-en-Ogoz

    La petite fille du désert - Christiane Kolly


    votre commentaire
  • C'est samedi. Une belle journée de juin où les dernières heures s'étirent en douceur.

    Le bateau m'emmène de Lausanne en direction d'Evian. Un groupe de personnes, verre rose de champagne à la main, fête la joie de vivre, un anniversaire ou un mariage, que sais-je ?
    Près de moi, un couple consulte un prospectus. Plus loin, trois hommes, un grand chapeau de feutrine noir sur la tête, chahutent gentiment. Le joli brun de leur peau et la gaieté qui se dégage de leur personne font penser qu'ils viennent d'un pays méditerranéen.
    Je me penche et regarde l'eau. Le bateau, par son passage, nous fait cadeau de mille et un tableaux où l'air joue avec l'eau. Après quarante minutes d'un balancement régulier sur le Léman, me voici à Evian.

    Promenade sur les rives, petite bière sur une terrasse où, pour une fois, aucune voiture n'est venue me voler une vue faite de tons qui deviennent pastel quand le soir descend : des beiges, des bleus, des roses et, plus tard, des gris. Dîner dans un petit restaurant. Les saveurs des différents mets, arrosés d'un petit vin du pays, enchantent mon palais, comme les odeurs enchantent mes narines et la vue, mes yeux.

    Me voici à nouveau sur le bateau qui me ramène doucement à Lausanne. Un groupe de personnes l'accompagne jusqu'à un siège proche du mien, la salue et s'en va. Elle est là, près de moi. Comme elle à l'air misérable : les cheveux sales, coupés au carré où les irrégularités laissent deviner le " fait maison ", un chemisier bleu et blanc, le dernier bouton négligemment laissé ouvert, ce qui pourrait être un dernier effort de séduction mais qui, ici, devient grotesque, une jupe en tricot rose foncé dont la ceinture ne trouvera jamais la taille, une veste beige qui a peut-être commencé par être blanche, des chaussures que ses pieds ont déformées, un sac à main de sa jeunesse et un sac de supermarché qui doit contenir sa livre de pain de la semaine et quelque autre nourriture, une canne.

    Je pose ma tête sur l'épaule accueillante de l'homme. Je me sens heureuse, paisible. Mais, elle me regarde, me fixe avec dans le fond des yeux un mélange de haine, de méchanceté, de jalousie, d'envie, de tristesse, de manque d'amour qui m'empêche de jouir de ce moment si doux.

    Elle marmonne : " tous au Casino, c'est incroyable... vous avez vu ? "
    " Oui Madame ", poliment, je dis et regarde par la fenêtre pour éviter, et ses yeux, et la conversation.

    Le bateau s'arrête. " Il faut m'aider, je ne peux pas descendre seule, c'est trop dangereux ", elle dit.
    " Oui Madame " dit l'homme et il la soutient. Ils marchent tous deux sur la passerelle.
    " Sale temps ", elle dit. Il ne répond pas. Il fait beau.
    " Vous allez de quel côté ? ", elle dit.
    " De l'autre côté ", il répond.
    " Vous allez de quel côté ? ", elle répète.
    " De l'autre côté ", il répond à nouveau.
    Elle s'en va à petits pas, appuyée sur sa canne.

    Je m'en vais, de l'autre côté. Mais pourquoi ne suis-je pas sûre, ce soir, d'avoir choisi le bon côté ?

    Christiane Kolly
    octobre 1998
    Vuisternens-en-Ogoz


    votre commentaire