• Le sac de poletz

    poletzLe jeudi, à part patauger dans le ruisseau ou jouer aux aventuriers dans la grotte, les poletz avaient leur part. Après une année, j'en avais cent vingt à cent trente. Mes camarades qui les avaient perdues s'arrangeaient pour s'en procurer, en volant père ou mère, ou en pillant un poulailler pour aller ensuite vendre les oeufs et avec l'argent racheter des poletz.

    Celui qui perdait et qui n'avait plus de billes recevait un gage, un devoir. Le premier décidait pour le dernier. Je me souviens du coup où j'avais donné à Paletot le gage suivant. Il avait plu durant deux ou trois jours. Au bord de la Glâne, les flaques ressemblaient plus à des lacs, avec leurs vingt mètres sur trente et au milieu une profondeur de cinquante centimètres de flotte. Mon ami Paletot a dû traverser. Il est arrivé en retard à l'école, mouillé jusqu'aux cuisses :

    • Qu'est-ce que tu as fait, pourquoi tu es tout mouillé ? dit le maître.
    • C'est à cause de Francis, il m'a fait traverser l'étang de la Glâne.
    • Pourquoi il t'a demandé cela ?
    • C'est à cause des poletz, j'ai perdu aux poletz.
    • Vous êtes des crapauds.

    C'était le cas de dire. Je crois qu'il nous comprenait.

    Nous avons continué à jouer quelques mois. J'ai pratiqué les poletz de onze à treize ans. Et puis une nouvelle étape de mon éducation approchant, j'ai compté mon trésor : j'en avais trois cent soixante. Je les ai mises toutes dans un sac en jute trouvé par la baraque. Je n'allais quand même pas les distribuer aux copains. Je m'étais "crevé le cul" à les gagner. Il fallait les camoufler.

    Dans le verger de mon oncle Henri, il y avait une vingtaine d'arbres fruitiers. J'ai choisi un prunier un peu à l'écart. Deux pas par ici, deux pas par là, j'avais même dessiné une carte avec la position exacte du trésor. Avec pelle et pioche, j'ai creusé un trou assez profond, cinquante à soixante centimètres, et j'ai déposé mes billes au fond du trou. Puis, après avoir recouvert mon bien de terre, j'ai soigneusement remis les mottes et arrangé l'herbe. Ni vu, ni connu.

    Mais deux ans plus tard, pauvre de moi, je n'ai jamais réussi à les retrouver, l'arbre avait disparu. Les poletz sont retournées à leur état originel, elles sont redevenues terre.

    Avec mon frère et mon ami Paletot, nous en avons reparlé parfois :

    • Tu es un salaud Francis, tu aurais mieux fait de nous les donner.
    • Tu vois Francis, tu as été puni, maintenant tu n'as plus rien.

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