• Aux modernes - Leconte de Lisle, Poèmes barbares.Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,
    Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,
    Châtrés dès le berceau par le siècle assassin
    De toute passion vigoureuse et profonde.
     
    Votre cervelle est vide autant que votre sein,
    Et vous avez souillé ce misérable monde
    D'un sang si corrompu, d'un souffle si malsain,
    Que la mort germe seule en cette boue immonde.
     
    Hommes, tueurs de Dieux, les temps ne sont pas loin
    Où, sur un grand tas d'or vautrés dans quelque coin,
    Ayant rongé le sol nourricier jusqu'aux roches,
     
    Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits,
    Noyés dans le néant des suprêmes ennuis,
    Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches.
     
                  Leconte de Lisle, Poèmes barbares.

    votre commentaire
  • La Main de ma Mère - Maurice CarêmeLa Main de ma Mère
     
    Je prenais la main de ma mère
    Pour la serrer dans les deux miennes
    Comme l’on prend une lumière
    Pour s’éclairer quand les nuits viennent .
     
    Ses ongles étaient tant usés,
    Sa peau quelquefois sombre et rêche.
    Pourtant, je la tenais serrée
    Comme on le fait sur une prêche.
     
    Ma mère était toujours surprise
    De me voir prendre ainsi sa main.
    Elle me regardait, pensive
    Me demandant si j’avais faim.
     
    Et, n’osant lui dire à quel point
    Je l’aimais, je la laissais
    Retirer doucement sa main
    Pour me verser un bol de lait.
     
    Maurice Carême
     
    Tableau Pino Daeni

    votre commentaire
  • LE BUFFET 
     
    C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
    Très vieux, a pris cet air si bon de vieilles gens ;
    Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre,
    Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;
     
    Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
    De linges odorants et jaunes, de chiffons
    De femmes ou d'enfants, de dentelles fletries,
    De fichus de grand-mère où sont peints
    des griffons;
     
    C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches 
    De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches 
    Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits. 
     
    Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
    Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
    Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires. 
     
                ARTHUR RIMBAUD
     

    Arthur Rimbaud - Le buffet


    votre commentaire
  • À ceux que j'aime et ceux qui m'aiment

    Quand je ne serai plus là, lâchez-moi !
    Laissez moi partir,
    j'ai tellement de choses à faire et à voir !
    Ne pleurez pas en pensant à moi !

    Soyez reconnaissants pour les belles années
    Durant lesquelles je vous ai donné mon amitié,
    Vous pouvez seulement deviner
    le bonheur que vous m'avez apporté !

    Je vous remercie de l'Amour que chacun m'a démontré !
    Maintenant il est temps de voyager seul.
    Pour un court moment, vous pouvez avoir de la peine.
    La confiance vous apportera réconfort et consolation.

    Nous serons séparés pour quelques temps !
    Laissez les souvenirs apaiser votre douleur !
    Je ne suis pas loin et la Vie continue...
    Si vous en avez de besoin, appelez-moi et je viendrai !

    Même si vous ne pouvez me voir ou me toucher, je serai là.
    Et si vous écoutez votre coeur, vous éprouverez clairement
    la douceur de l'amour que j'apporterai.

    Et quand il sera temps pour vous de partir,
    je serai là pour vous accueillir.
    Absent de mon corps, présent avec Dieu.

    N'allez pas sur ma tombe pour pleurer,
    je ne suis pas là, je ne dors pas.

    Je suis les mille vents qui souffle.
    Je suis la lumière qui traverse les champs de blé.
    Je suis la douce pluie d'automne.
    Je suis l'éveil des oiseaux dans le calme du matin.
    Je suis celui qui brille dans la nuit.

    Matcaci

    *Texte écrit par Charlotte Néwashish-Flamand lors du décès de son oncle survenu subitement. Matcaci veut dire Au Revoir. Fait étonnant, pas longtemps après, Charlotte nous quittait suite à une longue et pénible maladie.


    votre commentaire
  • Es war einmal - Frédéric Le Grand

     

    Es war ein Mal ein Courtisan

    Und eine Dame de Cour

    Er war für Sie ein bon Vivant

    Und Sie war folle d'Amour

    Sie gingen zu Promenade

    Tranken The und Schokolade

    Und auch bon vieux Vin

    In einem beau Jardin

    Er war ein wenig Entreprenant

    Und Sie war auch

    Bien d'accord

     

    Friedrich der Grosse


    votre commentaire
  • Victor Hugo - La conscience

    Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
    Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
    Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
    Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
    Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
    Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
    Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
    Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
    Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
    Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
    Et qui le regardait dans l’ombre fixement.
    « Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
    Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
    Et se remit à fuir sinistre dans l’espace.
    Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
    Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
    Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
    Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
    Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
    « Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
    Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
    Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes
    L’oeil à la même place au fond de l’horizon.
    Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
    « Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
    Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche.
    Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
    Sous des tentes de poil dans le désert profond :
    « Etends de ce côté la toile de la tente. »
    Et l’on développa la muraille flottante ;
    Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb :
    « Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l’enfant blond,
    La fille de ses Fils, douce comme l’aurore ;
    Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »
    Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
    Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
    Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
    Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
    Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours! »
    Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
    Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.
    Bâtissons une ville avec sa citadelle,
    Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
    Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
    Construisit une ville énorme et surhumaine.
    Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine,
    Chassaient les fils d’Enos et les enfants de Seth ;
    Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;
    Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
    Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
    On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
    Et la ville semblait une ville d’enfer ;
    L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
    Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;
    Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
    Quand ils eurent fini de clore et de murer,
    On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
    Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
    L’oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
    Et Caïn répondit :  » Non, il est toujours là. »
    Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
    Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
    Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
    On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
    Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
    Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
    Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
    L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

    Victor Hugo

     


    votre commentaire
  • comme une bougie

    Quelqu'un meurt,
    Et c'est comme des pas
    Qui s'arrêtent.
    Mais si c'était un départ
    Pour un nouveau voyage...
     
    Quelqu'un meurt,
    Et c'est comme une porte
    Qui claque.
    Mais si c'était un passage
    S'ouvrant sur d'autres paysages...
     
    Quelqu'un meurt,
    Et c'est comme un arbre
    Qui tombe,
    Mais si c'était une graine
    Germant dans une terre nouvelle...
     
    Quelqu'un meurt,
    Et c'est comme un silence
    Qui hurle.
    Mais s'il nous aidait à entendre
    La fragile musique de la vie...
     
    Benoît Marchon


    votre commentaire
  • l'homme  grimpant à l'arbre Edwards

    Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
    Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
    Vous me connaissez, vous! - vous m’avez vu souvent,
    Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.

    Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
    Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
    Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
    La contemplation m’emplit le coeur d’amour.

    Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
    Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
    Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
    Et du même regard poursuivre en même temps,

    Pensif, le front baissé, l’oeil dans l’herbe profonde,
    L’étude d’un atome et l’étude du monde.
    Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
    Arbres, vous m'avez vu fuir l'homme et chercher Dieu!

    Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches;
    Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
    Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux;
    Vous savez que je suis calme et pur comme vous.

    Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s'élance,
    Et je suis plein d'oubli comme vous de silence!
    La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
    Toujours, - je vous atteste, ô bois aimés du ciel! -

    J'ai chassé loin de moi toute pensée amère,
    Et mon coeur est encor tel que le fit ma mère!
    Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
    Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres sourds,

    Ravins où l'on entend filtrer les sources vives,
    Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
    Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
    Dans tout ce qui m'entoure et me cache à la fois,

    Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
    Je sens quelqu'un de grand qui m'écoute et qui m'aime!
    Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
    Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,

    Forêt! c'est dans votre ombre et dans votre mystère,
    C'est sous votre branchage auguste et solitaire,
    Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
    Et que je veux dormir quand je m'endormirai. 

    Victor Hugo

    Image : Edwards


    votre commentaire
  • ascension vers l obscure Jerome Bosch

    On dit que je suis fort malade,
    Ami ; j'ai déjà l'oeil terni ;
    Je sens la sinistre accolade
    Du squelette de l'infini.

    Sitôt levé, je me recouche ;
    Et je suis comme si j'avais
    De la terre au fond de la bouche ;
    Je trouve le souffle mauvais.

    Comme une voile entrant au havre,
    Je frissonne ; mes pas sont lents,
    J'ai froid ; la forme du cadavre,
    Morne, apparaît sous mes draps blancs.

    Mes mains sont en vain réchauffées ;
    Ma chair comme la neige fond ;
    Je sens sur mon front des bouffées
    De quelque chose de profond.

    Est-ce le vent de l'ombre obscure ?
    Ce vent qui sur Jésus passa !
    Est-ce le grand Rien d'Épicure,
    Ou le grand Tout de Spinosa ?

    Les médecins s'en vont moroses ;
    On parle bas autour de moi,
    Et tout penche, et même les choses
    Ont l'attitude de l'effroi.

    Perdu ! voilà ce qu'on murmure.
    Tout mon corps vacille, et je sens
    Se déclouer la sombre armure
    De ma raison et de mes sens.

    Je vois l'immense instant suprême
    Dans les ténèbres arriver.
    L'astre pâle au fond du ciel blême
    Dessine son vague lever.

    L'heure réelle, ou décevante,
    Dresse son front mystérieux.
    Ne crois pas que je m'épouvante ;
    J'ai toujours été curieux.

    Mon âme se change en prunelle ;
    Ma raison sonde Dieu voilé ;
    Je tâte la porte éternelle,
    Et j'essaie à la nuit ma clé.

    C'est Dieu que le fossoyeur creuse ;
    Mourir, c'est l'heure de savoir ;
    Je dis à la mort : Vieille ouvreuse,
    Je viens voir le spectacle noir.


    votre commentaire
  • rose et billet du matin
     
    Si les liens des coeurs ne sont pas des mensonges,
    Oh ! dites, vous devez avoir eu de doux songes,
    Je n'ai fait que rêver de vous toute la nuit.
    Et nous nous aimions tant ! vous me disiez : « Tout fuit, 

    Tout s'éteint, tout s'en va ; ta seule image reste. »
    Nous devions être morts dans ce rêve céleste ;
    Il semblait que c'était déjà le paradis.
    Oh ! oui, nous étions morts, bien sûr ; je vous le dis.

    Nous avions tous les deux la forme de nos âmes.
    Tout ce que, l'un de l'autre, ici-bas nous aimâmes
    Composait notre corps de flamme et de rayons,
    Et, naturellement, nous nous reconnaissions.

    Il nous apparaissait des visages d'aurore
    Qui nous disaient : « C'est moi ! » la lumière sonore
    Chantait ; et nous étions des frissons et des voix.
    Vous me disiez : « Écoute ! » et je répondais : « Vois ! »

    Je disais : « Viens-nous-en dans les profondeurs sombres ;
    Vivons ; c'est autrefois que nous étions des ombres. »
    Et, mêlant nos appels et nos cris : « Viens ! oh ! viens !
    Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens. »

    Éblouis, nous chantions : « C'est nous-mêmes qui sommes
    Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes,
    Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant ;
    Nous sommes le regard et le rayonnement ;

    Le sourire de l'aube et l'odeur de la rose,
    C'est nous ; l'astre est le nid où notre aile se pose ;
    Nous avons l'infini pour sphère et pour milieu,
    L'éternité pour l'âge ; et, notre amour, c'est Dieu. »

    Victor - Les contemplations - 185..


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique