• Le silo de Vauderens

    silo vauderensA cette époque, des ingénieurs ont envoyé à l'entreprise Mauron une invitation à soumissionner pour la construction d'un silo à blé à Vauderens, silo qui servirait à entreposer le blé. Au moment de vendre ce blé à des moulins, ce n'était plus chaque paysan qui allait négocier, mais la société, la quantité était importante donc le prix bien plus intéressant.

    Nous avons fait la meilleure offre. Le silo devait être construit en béton armé, par un coffrage grimpant, ce qui veut dire qu'au fur et à mesure que nos le remplissions de béton, le mur montait. Cela a duré quatorze jours et nous travaillions vingt-quatre heures sur vingt-quatre, deux fois douze, des équipes de douze heures. Nous avions sollicité une autorisation à la Préfecture ainsi qu'à la Commune et à la Paroisse, autorisations qui avaient été accordées.

    La technique de construction n'existait pas encore en Suisse. Nous avions pris contact avec une entreprise allemande de Stuttgard pour savoir comment monter un silo. C'est un chef de chantier qui est arrivé avec le matériel de coffrage nécessaire, assez primitif en soi mais qui avait bien fonctionné. Cet allemand nous reprochait d'ailleurs d'être Griechenland, ce qui voulait dire que nous avions des procédés de grecs.

    L'auberge du Chamois de Vauderens était restée ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour toute la durée des travaux. Maguy, la Patronne, une femme accorte et qui aimait bien séduire, se faisait un plaisir de nous recevoir, c'est elle qui était de garde durant la nuit. Dans l'arrière-salle, des alcôves pourraient bien raconter quelques histoires, mais rien de bien répréhensible ni méchant. Nous aimions surtout passer du bon temps à boire quelques bonnes bouteilles, à refaire le monde en la draguant un peu. Et comme le tiroir-caisse fonctionnait bien, tout le monde y trouvait son compte.

    Arrive le jour de l'inauguration. Le Président de la Société d'Agriculture, Louis Périsset, le grand Chef omnipotent de la société, Maurice Braillard, et surtout les filles de la Société de Jeunesse étaient là. Le sapin et les filles étaient tout enguirlandés. Après le souper de circonstance, au restaurant du Chamois bien entendu, un petit orchestre s'est mis à jouer et nous avons dansé. Une fille me toisait, me reluquait depuis le début de la soirée, c'était la maîtresse d'école, Canisia Oberson. Il y avait entre elle et moi comme une étincelle, une lueur qui pouvait laisser présager que la soirée finirait tard et bien. Le but non avoué, l'idée qui naviguait entre les yeux, le coeur et le pantalon, était bien sûr de finir par toucher la demoiselle, et de lui rendre hommage même.

    À la fin du bal, vers trois heures du matin, Maurice et moi sommes allés boire le café noir chez la Maîtresse d'école, à son appartement, en-dessus de l'école. Et là, ce fut le combat des chefs pour savoir qui resterait avec la demoiselle. J'avais un avantage certain, je vivais à l'extérieur, tandis que Maurice habitait à cinquante mètres de l'école. Sa femme avait un magasin d'alimentation, c'était une personne publique. Difficile dans ces conditions de tenir la place. À cinq heures du matin, Maurice est parti. J'ai pu enfin prendre dans mes bras la demoiselle aux yeux de biche.

    Le lendemain matin, le Président de la Commission scolaire téléphone à Canisia pour lui signifier qu'il n'y avait pas école ce jour-là. C'est vrai qu'il avait énormément neigé. Les enfants déjà arrivés étaient en train d'enlever la neige sur ma belle voiture. Ils sont partis.

    Je suis rentré chez moi à dix heures du matin, prétextant une embardée dans un fossé. J'avais soi-disant dû appeler les paysans du coin pour me sortir de là et ils m'avaient gentiment suggéré de ne pas reprendre le volant dans mon état d'ébriété avancé. J'avais écouté leurs sages conseils. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si elle m'avait cru.

    Quand ils ont construit le deuxième silo de Vauderens, ce n'est pas à moi qu'on a adjugé les travaux. C'est une soirée qui finalement m'a coûté très cher. Je ne regrette rien.


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