• Renaissance - Christiane Kolly

    Une autre dimension, c'était donc cela…

    Elle se retrouve dans cet espace de calme, de paix, de lumière. Un bien-être, impossible à décrire avec des mots de la terre l'a envahie. A ses côtés, serein rempli d'amour et de compréhension, Georges enfin c'est le nom qu'elle a donné, à son guide retrouvé. Mais pourquoi l'a-t-elle si longtemps oublié?

    Il y a quelques heures à peine, mais cela lui semble une éternité, elle a vécu des événements terribles. Elle se lève tôt. Petit-déjeuner, toilette, elle s'habille, tailleur gris et chemisier jaune, mocassins de luxe, maquillage discret, quelques babioles, coquetterie oblige, attaché case.
    Un quart d'heure de marche, entre les hauts bâtiments de son quartier, elle croise des centaines de personnes, sans en voir aucune. Son pas rapide et décidé l'amène vers huit heures trente à son bureau, au cinquante quatrième étage du bâtiment où elle travaille. Avec des gestes d'automate, elle s'installe et prend le premier dossier qu'elle doit avoir bouclé pour dix heures. Parfait, il sera… enfin c'est ce que son patron exige. Et si ce n'est pas le cas, elle risque de se voir virée pour être remplacée par plus performant qu'elle. La compét, toujours la compét…

    Elle est lasse de cette vie… Peur de ne pas être à la hauteur, peur de se faire jeter, peur qu'un collègue lui fasse un enfant dans le dos.
    Vide aussi, sa vie affective, vide, succession d'échecs, pas de temps pour aimer. Sa mère, son père, ils vivent dans un état très éloigné, elle les entend une fois par semaine et ils se racontent des banalités, des fausses vérités, "tout va bien", "je suis très heureuse ici", "non, non, ne t'inquiète pas maman, je viendrai vous voir à Noël ou à la Trinité". Mais sa maman sait, elle sait qu'au fond du cœur de sa petite fille, tout au fond, il y a un besoin d'aimer, d'être aimée, de faire des enfants. Faire un enfant, elle n'a pas le temps, sa carrière…

    Soudain, un bruit de tonnerre, des gens qui hurlent, la tour s'effondre.
    Elle se retrouve à deux mètres du bâtiment, dans le vide. Mais son corps y est resté. Serait-elle morte? A ses côtés, beaucoup d'autres êtres qui observent la scène. Ils sont morts… Mais non, puisqu'elle pense, elle regarde, elle ressent. Elle est légère, légère, plus de corps physique. Une voie se dessine à travers la fumée noire, à travers cet espace envahi de peurs, une voie, une lumière dans toute cette noirceur.
    Elle se retrouve au-dessus de cette ville, au-dessus de la terre. Quelques heures et sa vie a basculé. Sa vie? Quelle vie? Cette vie qu'elle n'appréciait plus.
    Baignant dans la paix, elle se retrouve là, à côté de Georges son guide. Elle le reconnaît, pourquoi l'avait-elle oublié? Ils avaient pourtant décidé ensemble de cette vie. Elle retournait sur terre pour apprendre à aimer. Oublié…

    La dernière fois, elle se souvient. Elle est à côté de Georges, dans la plénitude de cette dimension, baignant dans l'amour. Puis ils prennent ensemble une décision. Aller sur terre, vivre au milieu des hommes, dépasser des blessures que son être a accumulées au cours de ses existences précédentes. Blessure d'injustice, blessure de rejet. Un petit voyage sur terre lui permet de choisir deux êtres, son père et sa mère. Ils s'aiment, comme ils s'aiment. Elle leur demande, dans l'inconscient, dans leurs rêves, s'ils l'acceptent comme leur enfant. Ils ont déjà un garçon et désirent une fille. Alors, elle s'installe dans le petit corps fécondé à l'intérieur de sa mère et naît un jour au milieu d'eux. Nouveau-né. Les premiers jours, les premières semaines, les premiers mois, Georges est près d'elle, elle lui sourit l'apercevant à côté de son frère et de ses parents. D'ailleurs, Georges son guide n'est pas seul, son ange gardien est là aussi. Premières années, elle a encore de longues discussions avec eux. Mais quand elle en parle autour d'elle, personne ne la croit, elle a des visions. Alors, elle fait confiance aux grandes personnes et oublie Georges et la raison de sa présence sur terre : apprendre à aimer. Elle arrête de parler avec son guide Georges, avec son ange et malgré qu'ils sont toujours présents à côté d'elle, elle les oublie…

    Et puis, des événements viennent réveiller ses blessures. Injuste, elle trouve injuste que son frère puisse jouer au ballon et qu'elle, qui préfère le ballon, doive se contenter des poupées. Colère contre sa mère, sentiment de révolte, elle oublie d'apprendre à aimer, de comprendre qu'ils agissent au mieux de leur connaissance, pour son bien. Première couche sur sa blessure d'injustice. Plus tard, même scénario, son frère sort avec les filles, rentre sans donner d'explications à l'heure qu'il veut. Et elle, elle sort sous bonne garde et n'a pas le droit de rester seule avec un garçon. Mais pourquoi cette différence, c'est injuste… De nouveau, elle oublie que ses parents font de leur mieux. Révolte, colère, sentiments négatifs, deuxième couche sur sa blessure. Et ça continue… Ils ne l'aiment pas, il l'empêchent d'être ce qu'elle veut être, ils la rejettent. Mais non, elle se sent rejetée, réveil de sa blessure de rejet.

    Pourtant, si elle continuait à dialoguer avec Georges, il lui dirait comment dépasser ses blessures.
    Plus tard, avec ses professeurs, ses patrons, les hommes qu'elle côtoient, le même scénario se reproduit à chaque événement. Alors, elle met des masques sur son être. Elle devient rigide, de plus en plus rigide face à l'injustice. Elle devient fuyante, de plus en plus fuyante, face au rejet. Elle se sent mal, de plus en plus mal, de plus en plus souvent mal, avec les êtres qui l'entourent.
    Et pourtant, elle cherche pourquoi… De temps en temps, elle va à l'église, demander à Dieu de lui venir en aide. Mais elle ne prend pas le temps d'écouter ce qu'il lui répond, elle repart dans ses activités effrénées.

    L'amour… quelque part au fond d'elle-même, elle sait que c'est là… la solution. Quand elle est amoureuse, dans les premiers moments, elle sait aimer, sans demander de comptes, inconditionnellement, en gommant les aspects qui lui plaisent moins pour ne voir que les qualités de la personne. Mais elle est incapable de faire durer cet amour. Quand les problèmes surgissent, elle fuit. Son égo, si fort, si présent a le dessus. "Tu ne vas quand même pas te laisser faire cela, te laisser traiter de la sorte, montre lui qui tu es, laisse-le". Et elle fuit. Elle n'a rien résolu.
    Et la voilà, à côté de Georges, dans cette dimension merveilleuse où il n'y a plus ni jugement, ni compétition, ni critique. De l'amour, seulement de l'amour… Et maintenant, le temps n'existe pas, l'espace n'existe pas. Elle retrouve la sérénité. Elle baigne dans la lumière.

    Renaître, renaissance? Va-t-elle y retourner? Ses blessures sont toujours là, inactives.
    Une vie de repos, dans une autre dimension?
    Une vie sur la terre, son frère y est toujours et il a une fiancée… ?
    Une vie chez les pauvres, les affamés, pour soigner sa blessure de rejet?
    Une vie chez les militaires, les policiers, pour soigner sa blessure d'injustice?
    Renaître ou ne pas renaître, voilà la question… Shakespeare devait avoir dépassé bien des blessures…

    Christiane Kolly
    Après le 11 septembre 2001
    Vuisternens-en-Ogoz


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